Dans mes périples des dernières semaines, j'ai eu la chance de passer une journée de travail
à l'AM STRAM GRAM théâtre de Genève.
La chance, aussi, de jouer pour le Festival International de Théâtre pour la jeunesse de Rostov on Don, en Russie.
Je n'ai pas assez de mètres de couturière pour mesurer le fossé, le gouffre, digne d'un décor du Seigneur des anneaux pour mesurer tout ce qui sépare mon quotidien dans le jeune public de ces lieux là.
Tout ceux que j'ai rencontré, tous ceux avec qui j'ai parlé même si mon anglais n'est pas au top, tout le monde est convaincu du bien fondé des démarches théâtrales, de leurs exigences, des prix à payer, de la poésie qui doit engager et s'engager. Ce n'est pas un pays tout entier mais c'est déjà une somme de gens qui sont là juste pour ça .. Pour moi, c'est comme visiter un autre temps. Une époque, voir une planète inconnue.
Ici, au milieu du Béarn, des maïs et des lotos, tout le monde s'en fout. Clairement. L'exigence théâtrale n'a même pas lieu d'être. Vous les artistes, faîtes nous donc marrer. J'en reviens à mon premier post, ma première contribution : alors, t'as pas un petit spectacle pour Noël ? Non, je n'ai pas ça. Je ne veux pas faire ça.
Ici, on attends, les fêtes du village annuelles, avec impatience. Moi, j'attends le bouquin que j'ai commandé, faute d'avoir une librairie, ou une médiathèque à moins de 200km qui me propose ce que je cherche.
Qu'il est grand ce fossé, qu'il est immense. !
Elle est où, la réflexion, ? Il est où le pouvoir de l'imagination ? Il est où l'accès à la culture et à laquelle ? Oui, je parle de là où je suis, depuis 10 ans, à écumer des salles des fêtes, des champs, des discussions de comptoir, parce que :
« non, vous ne pouvez pas brancher un projecteur chez moi, pour éclairer chez lui. Il me laisse pas utiliser le devant de son garage pour les fêtes de village, alors, hors de question » mais .. ça joue dans 3 jours, je le prends où le jus ?
Fatiguée moi ? Peut être. Mais surtout, comment on fait ? Il est où le pont pour qu'enfin je n'ai pas honte de facturer mon travail ? Jeune public ou pas, femme ou pas femme, c'est la culture qui est en jeu là. Si on ne dit pas aux enfants que c'est un « vrai » métier, ça va continuer longtemps comme ça ? L'artisan qui fait la terrasse de Monsieur, ou qui vient refaire la plomberie de untel, personne ne tique quand il présente la facture, c'est normal, c'est un sacré boulot. Et le nôtre de boulot, dans tout ça ?
Un local ? Pensez donc ! Le comité des fêtes en a plus besoin que vous. Ils sont légitimes. Eux.
Oui suis un peu en colère, contre moi même surtout. Les fêtes de village, c'est super. Mais y'a pas que ça. Si ?
En colère contre moi, parce que certainement, je me dois d'être plus exigeante avec moi même et arrêtez de faire des concessions pour essayer de promouvoir quelque chose comme Liberté, Egalité, Fraternité. Ces mots là, eux ne font pas de concession. Sont ils respectés ? Ils sont inscrits dans la pierre de chaque commune, normalement. Mais le monde est vaste et c'est loin d'être partout pareil. Alors on en revient à une des question fondamentale, quand on est comme moi, comme ma compagnie, des petits, des obscurs, comment qu'on fait pour devenir grand ? Pour qu'on nous voit ?
Avec toute l'exigence du monde, que c'est difficile ! Je ne tape pas du poing sur la table, d'autres l'ont fait mieux que moi et avec moins de naïveté et un peu plus de visibilité.
C'est quoi être entendu ? C'est quoi pouvoir montrer ? Quand à qui, comment dans quels contextes ?
Les problématiques engendrées par le questionnement sur le jeune public se reflètent dans les problématiques que l'on a de faire exister notre travail. Femme, enfant, ou homme, il faut juste avoir conscience que ce qui nous apparaît (collectif, lecteurs occasionnels) comme un sujet sur lequel débattre, n'est même pas un embryon d'idée dans certains endroits. Théâtre est parfois un gros mot. Trop gros pour être valable. Jeune public, quelle idée ! C'est des gosses, Chantal Goya ou Fabrice Melquiot ? Même combat.
Bon, j'ai pas de solution, non plus. Juste la volonté d'y croire, encore. Toujours.
Un peu jeune encore. Pas assez de métier, sans doute. Pas encore, mais je ne demande que ça.
Ça ressemble à un billet d'humeur, certes. Mais quand on construit un pont sans le matos adapté et ben, c'est plus compliqué. Et deux bras ne suffisent pas. Et le terrain, n'est pas toujours favorable. Les voisins, non plus.
Il y en a quelqu'uns quand même qui écoutent, qui entendent parfois, qui font aussi, mais quelle montagne à gravir ! chaque fois, pour convaincre, pour dire, si il y a de la poésie possible, là et là, de la matière à réflexion. Aller vers l'autre. Les brèches sont toutes petites. Faut savoir y entrer. Faut savoir, être contorsionniste. Sauf que j'ai pas fait cirque en option. Et je regrette, un peu.
Alors, je continue, en réfléchissant aux gens, aux moyens de faire autrement, si vous avez la recette de la potion magique, je prends.
Je ne m'attends pas à ce que le pays des licornes, des pâquerettes en toutes saisons, et des bras ouverts apparaisse. Encore que.
Céline