Pourquoi, par volonté et besoin de féminisation, dire auteure et non autrice ?
Créée artificiellement par des érudits et académiciens coupés du peuple et du parler populaire (et tous masculins : des idéologues sexistes !) au xviie siècle, la langue française moderne est la plus artificielle, intellectuelle et abstraite de toutes les langues ; Claude Duneton l’explique brillamment dans son essai La Mort du français. Cette langue est aussi machiste. En effet, nos savants mâles ont supprimé la plupart des féminisations de fonctions qui existaient avant eux et que l’on trouve dans tous les dictionnaires jusqu’au xvie siècle. Ainsi, le mot autrice est-il attesté dès le Moyen-Âge, période très riche pour la création linguistique des féminins, voire avant. Il est défini dans le Dictionnaire du moyen français comme « femme qui compose un ouvrage ». Sa disparition coïncide avec la création de l’Académie française en 1635, où ne siégeaient que des hommes, des auteurs (jusqu’en 1981 !)
Couramment utilisé jusqu’au xvie siècle, donc, le mot autrice vient du latin auctor-auctrix, « matrice naturelle des doublets auteur/autrice et acteur/actrice ». La féminisation d’auteur en autrice possède une vraie légitimité historique et linguistique, contrairement à auteure, qui est un néologisme récent, inventé au Québec (depuis la fin des années 1970, les Québécois sont devenus les champions de la démasculinisation du français et donc, notamment, de la féminisation des noms de fonctions, suivis par les Suisses et les Belges). Cette féminisation auteure, elle, est grammaticalement infondée ; il n’est que de regarder acteur, qui se féminise en actrice, de même que l’usage est courant de traductrice, éditrice, locutrice, créatrice, agricultrice, tutrice, etc. En outre, auteure est inaudible à l’oral. Moins phallocrates, les Italiens ont toujours conservé autrice, féminin d’autore, tout comme attrice, féminin d’attore.
Si l’Académie française revendique le respect des (de ses) règles, comment accepter, par exemple, ce madame le directeur (plutôt que madame la directrice) qui constitue une indéniable faute d'accord ? Cette académie n’a-t-elle pas eu le ridicule, dans la nécrologie de Simone Veil, de la désigner comme « confrère » ? Ainsi a-t-on pu également lire « l’auteur français Danièle Sallenave » ; et pourquoi pas « l’acteur américain Lauren Bacall » ? Ces « messieurs de l’Académie », par une volonté phallocrate (néologisme formé par Françoise d’Eaubonne) d’effacement, s’entêtent à entériner des « décisions politiques » datant du xviie siècle.
Il est donc grand temps, contre l’académicienne misogynie, de réhabiliter les féminisations de fonctions. Nos linguistes et lexicographes commencent à s’y mettre. Les dernières éditions du Robert comportent le mot autrice. L’association d’écrivaines et d’écrivains de théâtre EAT, dans laquelle militent de nombreuses femmes dont Marion Aubert, Louise Doutreligne, Dominique Paquet ou Carole Thibaut emploie systématiquement ce mot autrice, ayant banni auteure, dans toutes leurs publications.
Personnellement, comme mon ami agrégé de grammaire et écrivain Jean-Louis Bailly, je milite pour la résurrection et l’emploi du mot autrice et l’enterrement définitif de celui d’auteure.
Voir ce remarquable et passionnant article :
http://www.slate.fr/story/156221/feminisation-metiers-pouvoir